A
São Francisco, au cœur de la forêt équatoriale, le grand groupe de
cosmétiques brésilien Natura s’appuie sur les pratiques ancestrales
d’une communauté indigène pour monter un business écolo et rentable.
Histoire d’un partenariat où tout le monde est gagnant.
Le petit village de São Francisco, isolé au cœur de la forêt amazonienne, abrite 48 familles comptant parmi les principaux fournisseurs du
numéro un des cosmétiques au Brésil, Natura. Outre la rétribution de
leur approvisionnement en castanhas – la fameuse noix du Brésil – et en
résine de breu branco, elles tirent les bénéfices d’un statut original :
l’entreprise a reconnu, voici près de dix ans, que ces familles étaient
détentrices de la forêt. Elle monnaie depuis l’accès à son patrimoine
génétique ainsi que leur savoir ancestral sur la collecte et
l’utilisation des fruits sauvages.
Frigos rutilants
De quoi propulser
São Francisco à la pointe de la modernité. Car derrière les façades
rongées des maisons se cachent des trésors high-tech : écrans plats,
chaînes hi-fi et réfrigérateurs rutilants. Sans parler de l’outil de
travail. La sieste à peine terminée, les hommes sautent dans leurs
pirogues équipées de puissants moteurs poursuivre leur collecte au fin
fond de la forêt. Ils ont emporté avec eux leurs téléphones portables
qui, grâce aux antennes satellites du village, leur permettent de rester
en lien avec leurs familles. « C’est le partenariat avec Natura qui a
permis l’achat des équipements de transmission et celui de nouvelles
pirogues pour circuler plus sûrement sur le fleuve, explique Aldemir Pereira da Cunha, le jeune représentant de la communauté, avant de retracer l’histoire de son village. Comme
de nombreux peuples d’Amazonie, nous avons toujours vécu de la faune et
de la flore de la forêt et du fleuve. Nous avons ainsi assuré notre
survie depuis la nuit des temps jusqu’à ce que, au début des années
1980, le reste du Brésil s’intéresse à nos ressources naturelles et nous
incite à les commercialiser. C’était la génération de nos parents et
les familles vivaient encore dispersées au cœur de la forêt. Elles ont
alors décidé de se rassembler, de créer le village de São Francisco,
puis une coopérative pour servir les intérêts de la communauté,
désireuse d’améliorer ses conditions d’existence avec la vente des
fruits collectés : la copaïba, l’andiroba et surtout la castanha. »
Ainsi naît en 1992 la Comaru (Coopérative mixte des producteurs et
extractivistes du fleuve Iratapuru), première du genre. Très vite, les
collecteurs comprennent le potentiel pour leurs revenus d’une
transformation in situ. D’où la construction d’une usine locale
produisant farine et huile à partir des noix du Brésil.
Le regain d'intérêt des autorités brésiliennes
Ambitieux, le village bénéficie peu après d’un premier heureux coup
du sort. Après avoir trop longtemps abandonné l’Amazonie à toutes les
convoitises, les autorités brésiliennes, dans la foulée du Sommet de la
Terre de 1992 à Rio, saisissent l’urgence à la sauver de la
déforestation, et les populations indigènes qui l’habitent de
l’extinction. Il s’ensuit la mise en place de « Réserves de
développement durable » (RDS), des territoires de forêt sanctuarisés, où
les activités traditionnelles des communautés amérindiennes sont
pérennisées. Il en existe 27 aujourd’hui couvrant 11 millions
d’hectares, placées sous la responsabilité des populations autochtones.
Celle du Rio Iratapuru, l’une des plus vastes d’Amazonie avec ses
803 000 hectares de forêt, est confiée aux bons soins des 209 habitants
de São Francisco. Lorsqu’elle a décidé de lancer sa nouvelle gamme de
soins, Natura s'est donc tournée vers le village.
Respect des écosystèmes
Fondée en
1969, la multinationale se présente d’emblée comme une société innovante
dans le contexte brésilien : respectueuse de ses salariés, de ses
fournisseurs et de ses clients, comme de l’environnement. Et au tournant
des années 2000, elle passe une étape supplémentaire avec Ekos, des
cosmétiques issus de la flore brésilienne, récoltés dans le respect des
écosystèmes et participants d’un commerce équitable. « Il s’agit de
garantir aux communautés qui nous fournissent une activité
économiquement viable assurant leur développement social et la
préservation de la biodiversité. Pour ce faire, nous valorisons les
principes de la CBD (Convention sur la diversité biologique, ndlr) sur les droits d’exploitation du patrimoine génétique de la forêt et des savoirs des communautés qui y sont associées », explique Sergio Tallochi, le responsable des relations avec les communautés de Natura.
Les principes de la convention sur la diversité biologique
« CBD », un sigle magique pour un traité international qui découle,
lui aussi, du Sommet de la Terre à Rio. A l’époque, les pays réunis
conviennent que la préservation de la biodiversité passe par le maintien
de sa diversité biologique. Quelques années plus tard, les Nations
unies soumettent une Convention, fondée sur deux idées phares : au-delà
des espèces et des écosystèmes, c’est, d’une part, la conservation de
leurs patrimoines génétiques qui peut le plus sûrement assurer le
respect de la diversité biologique ; d’autre part, grâce à leurs
pratiques et leurs savoirs ancestraux, les peuples autochtones sont
reconnus comme garants de cette conservation. Signé par près de
180 pays, le texte instaure un partage équitable des avantages de
l’utilisation commerciale des ressources naturelles avec les communautés
traditionnellement exploitantes. Cette redistribution doit se faire
sous forme d’investissements dans des projets de développement
économique et social, et par un soutien à des actions de préservation.
Redistribution des richesses
A São Francisco, son impact se voit à l’œil nu. « Regardez notre belle église, notre école et notre dispensaire, s’enorgueillit Aldemir. Nous
vivons à cinq heures de la première ville. Il est essentiel de pouvoir
ne compter que sur nous-mêmes. Et voici notre usine ! En 2003, elle
avait accidentellement brûlé et sa reconstruction fut le premier
investissement réalisé par Natura au titre de la CBD. » A
l’intérieur du bâtiment, des machines sophistiquées avalent des
pelletées de noix du Brésil. En bout de chaîne, Sebastião Marques, le
directeur de l’usine, surveille la récolte du précieux élixir : l’huile
de castanha.
« Notre unité de transformation permet de donner du travail à tous
les villageois qui ne sont pas impliqués dans la collecte. La résine de
breu branco est, elle, livrée brute. Ces arbres rares qui suintent
quelques mois de l’année produisent une abondante résine qui,
cristallisée en gros blocs, est arrachée et vendue telle quelle à
Natura. Mais rien ne nous empêche d’envisager sa transformation sur
place. »
En attendant, la Comaru a tout de même empoché un total de
722 000 reals (253 000 euros) pour la fourniture de 21 700 kg d’huile de
castanha et 250 kg de résine de breu branco, pour les années 2010 à
2012. Mais la reconnaissance de leurs savoirs a rapporté plus encore aux
habitants de São Francisco (plus d’un million de reals, soit
350 000 euros).
Récolte tous les deux ans
Un jour
nouveau se lève sur São Francisco. Une escouade de collecteurs quitte le
village endormi. Deux heures plus tard, Tuneku et Mandeka s’enfoncent
dans la forêt, la bandoulière de leurs paniers en osier collée au front.
Qu’a changé le partenariat avec Natura dans la vie des deux frères,
collecteurs depuis quarante ans ? « Nous travaillons à la fois plus
et moins, rigole Tuneku. Pour laisser aux breu branco le temps de se
régénérer, nous ne récoltons la résine que tous les deux ans. Pour ne
pas endommager les noyers, nous ne grimpons plus aux arbres mais
attendons que les cabosses tombent. Ordre de Natura ! Pendant les
trois mois de récolte, il faut vite les ramasser et en extraire les noix
avant qu’elles ne pourrissent. Et comme Natura a interdit le travail
des enfants, il n’y a plus que mon frère et moi pour ce boulot. Les
jeunes travaillent seulement pendant les vacances scolaires afin qu’on
leur transmette nos traditions. » C’est à ces conditions que
l’entreprise de cosmétiques a décroché le label FSC de forêt durablement
gérée pour la réserve du Rio Iratapuru. Selon Sergio Tallochi, la
certification aurait participé à l’explosion des ventes de la ligne
Ekos, celle-ci permettant en retour l’extension du modèle « CBD » à
25 autres communautés.
Une démarche responsable à suivre...
Source : Terraeco, Corinne Moutout, le 21 novembre 2013
Crédit photo : Corinne Moutout
Mots clés : Amazonie, cosmétiques naturels, NATURA, biodiversité, bois, forêt, Brésil