A la fois ferme expérimentale, point de vente de légumes et centre de
conférences, ce potager s’est installé sur 1 500 mètres carrés de
friche, en pleine banlieue parisienne.
La scène se passe en banlieue parisienne. Une habitante d’Asnières
(Hauts-de-Seine) envoie un SMS à quelques voisins de Colombes : « Je vais au jardin, tu viens ? »
Lyne Soba lâche son portable, quitte son appartement et retrouve, aux
pieds des tours colombiennes, ses compagnons de binette. Entre les
petites parcelles de 1,20 m sur 2,20 m, la retraitée échange des semis,
ramasse trois haricots et va papoter sur la terrasse.
Derrière ces petits échanges se cache une grande ambition : celle de ressusciter les villes. « Elles se désocialisent ! En tant qu’entité sociale, la ville est morte »,
clame, à la suite du sociologue Alain Touraine, Constantin Petcou,
fondateur du projet R-Urban. Avec son acolyte, Doina Petrescu, il
s’empare temporairement des « interstices urbains », ces zones au statut
flou dont les municipalités ne font rien. Depuis 2001, de Dakar à
Berlin, en passant par le XXe arrondissement de Paris, leur binôme
constitué en atelier d’architecture autogéré (AAA) « crée des
opportunités » pour retisser du lien.
En 2012, c’est à Colombes, sur une friche de 1 500 mètres carrés,
qu’ils ont planté Agrocité. Jardin partagé, ferme expérimentale et
pédagogique, zone de compostage, lieu de vente de légumes, centre de
conférences… Agrocité brasse des ingrédients d’« architecture sociale ».
« Ici, au moins 20 nationalités viennent jardiner », se réjouit
Adrien, ingénieur agronome et salarié d’AAA. Des fèves dans une
parcelle, de la menthe et du chou chinois chez les voisins : les
potagers témoignent de cette mixité. « Au Maroc, mes grands-parents
jardinaient ; moi, j’ai grandi ici en détestant les légumes et sans
savoir comment ils poussaient », sourit Zaïnab, 22 ans. [...]
Fortes têtes et timides
[Avec
ses fortes têtes et ses timides, Agrocité est une microsociété. « Un
groupe humain, c’est mouvant, des leaders émergent, d’autres les
remplacent, il faut deux ou trois ans pour qu’il soit autonome », indique Doina Petrescu. Ensuite, les architectes iront poser ailleurs leur bâtiment en ossature bois et isolation paille. « On dissémine, sourit Constantin Petcou, la construction est réversible, mais les usages doivent durer. »
Pour s’en assurer, ces partisans de la résilience n’ont qu’une devise, la liberté. « Moins les organisations sont rigides, plus les gens s’impliquent », constate Doina Petrescu. Seul mot d’ordre : partager. Apporter une tarte, gérer le barbecue du dimanche, « contrairement au jardin ouvrier, on ne vient pas seulement ici par nécessité »,
poursuit Doina.
Et si, au 4, rue Jules-Michelet, l’écologie est centrale, elle sert avant tout de ciment social. « Le
choix du jardinage est stratégique, explique Doina Petrescu, l’activité
est très intégratrice, les gestes sont universels et l’espace est
ouvert. » A l’entrée, un tableau noir invite d’ailleurs les passants à acheter leurs légumes « un peu moins cher qu’au E. Leclerc d’à côté », souligne Margaux.
Ainsi, chaque semaine, des curieux franchissent le portail. « Au début, on nous prenait pour des aliens, sourit Adrien, aujourd’hui on nous dépose du compost. » [...]»
Eviter la schizophrénie
Et ce n’est qu’un début. « La plupart des projets citoyens ne s’intéressent qu’au temps libre, reconnaît Constantin Petcou. Prenons
un habitant qui vient écouter une conférence, il réfléchit, participe
puis rentre seul dans son petit appartement, et le lendemain il retourne
travailler dans le système ultralibéral qu’il critiquait la veille. » Pour éviter cette schizophrénie, l’architecte voit plus grand. « Il faut redonner sa place à l’économie non monétaire. »
C’est l’ambition de Recyclab, le deuxième volet du projet R-Urban. A
quelques rues d’Agrocité, ce centre de récupération d’objets destiné à
fabriquer des aménagements écoconstruits doit créer des emplois en
réinsertion. Reste qu’« il faut aussi repenser le logement »,
pointe Constantin Petcou. Alors, Ecohab, un ensemble écologique mêlant
logements sociaux et résidences d’artistes, devrait sortir de terre
bientôt, toujours grâce aux financements municipaux, départementaux et
européens. Les trois unités doivent fonctionner en symbiose, mais le
projet, scruté de près par une équipe de sociologues et d’urbanistes,
reste expérimental. —
Impact du projet
Deux emplois créés pour gérer le projet
1 500 mètres carrés de friches réemployée
* Solidaire
Source : Terraeco, le 29 août 201
Mots clés : urbanisme, alimentation, solidarité, écologie, agroécologie, agriculture, France
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