Toujours plus de fringues, pour toujours moins cher : nous filons un
mauvais coton. Dopée par le culte des marques, notre consommation
confine à la frénésie. Nous savons qu’elle a un prix, notamment social,
mais nous n’en tirons pas encore les conséquences. Terra Eco propose de nous ouvrir les yeux avec Emmanuelle Lallement, ethnologue, maître de conférences à Paris IV.
Miniaturisation du prix
Le
temps de vie du vêtement a [...] rétréci avec son prix. Les
délocalisations massives de la fin des années 1980 vers des pays à
main-d’œuvre très bon marché ont fait basculer les modes de
consommation. Qui reprisera une chemise à 15 euros ? Qui réfléchira à
deux fois devant une robe pas très bien coupée si elle n’en vaut que
30 ? Il faut dire que la fringue coûte peu. La part des dépenses
d’habillement dans le budget des ménages a été divisée par deux en
quarante-cinq ans. En 2006, elle représentait moins de 5 % d’un budget
et s’élevait à 616 euros par habitant et par an. Et pourtant, les
Français consomment toujours plus d’habits, pour moins cher.
D’après l’Institut français de la mode, entre 1990 et 2008, la
consommation en nombre de pièces s’est accrue d’environ 35 %. Entre 2000
et 2007, les prix de l’habillement ont reculé de 8,2 %. Les armoires
craquent, les penderies croulent sous les piles de fringues
standardisées. Et pour cause. Les chaînes spécialisées du type H&M
ou Zara, inconnues il y a vingt ans, captent désormais 40 % du chiffre
d’affaires de l’habillement. « Le développement incroyable du nombre de boutiques donne l’illusion du choix, alors qu’il s’agit en réalité d’uniformisation »,
explique Emmanuelle Lallement, ethnologue, maître de conférences à
Paris IV. Les enseignes savent y faire pour ne pas lasser. Avec jusqu’à
plus de dix collections par an, des incitations à acheter sans essayer
– puisqu’on peut toujours échanger –, et des soldes, promotions et
rabais permanents, les marques ont accéléré l’acte d’achat. « Les
prix sont toujours cachés : ils induisent l’illusion de faire une bonne
affaire et provoquent l’impulsivité, c’est-à-dire le droit à l’erreur », explique la chercheuse.
La marque, cette divinité
Alors que
les consommateurs sont plus attentifs à la provenance et aux conditions
de production de ce qu’ils avalent, le vêtement échappe en grande partie
à ces interrogations. C’est que la distance de la matière première à la
penderie est longue. Au point d’oublier que pour que le joli petit haut
atterrisse sur vos épaules, plusieurs dizaines de personnes ont
transpiré dessus. « Ce qui fait écran, c’est la marque, qui apparaît
comme une sorte de divinité et empêche de comprendre que derrière un
vêtement, il y a une chaîne de production », souligne Emmanuelle
Lallement. Dans son récent film The Bling Ring, sorti en juin dernier,
la réalisatrice Sofia Coppola ne s’y est pas trompée. Elle met en scène
des adolescents fascinés par des dressings bourrés à craquer, brillants
de mille sigles pour lesquels ils sont prêts à devenir voleurs. Aux âmes
perdues, il est bon de tirer parfois le fil qui fait le vêtement. —
Voir l'enquête Une vie de T-shirt
Extrait de Terraeco, le 29 août 2013
Visuel : etre-une-femme.over-blog.fr
Mots clés : commerce international, consommation, mode, mondialisation, santé, développement durable, agriculture, emploi, monde
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